Palais


Un marbre aveugle mure aujourd’hui les entrées de l’ancienne gare. Laissé sans souverain, le Palais Pacifique, depuis longtemps condamné au trafic des mortels, archive l’écho des pas perdus. Suspendue dans un rayon de soleil, la poussière qui filtre par les verrières nous rappelle aux anciennes âmes, échouées ici, au bout des chemins d’exil. Chaussés de vent, dans leurs paletots de poussière, les disparus ont le pas léger. Ils passent sans laisser de traces. La lumière même ne saurait les ramener à nous.

Le parquet quadrillé de la gare rappelle un vaste échiquier. Autrefois, des objets perdus, des bagages oubliés, y ont figuré les pièces de quelque joute inachevée, partie entamée à bord, avec un étranger, et laissée en plan au moment d’entrer en gare. Qui en connaît les règles et l’enjeu véritables? Peu importe. Les joueurs ne parlaient pas la même langue. Personne ne gagne, personne ne perd, quand on décide de taire la règle du jeu.

Aux dernières heures de la gare, un ultime voyageur, seul à descendre à Pacifica, a posé sa valise au centre du parquet. Plus personne ne l’attendait. À l’extrémité de la salle des pas perdus, sous le tableau des départs, un poisson de marbre, tête à l’envers, pointe vers le fond d’une fontaine murale. Un mince filet d’eau s’échappe de sa bouche. L’horloge qui surplombe le tableau a depuis longtemps perdu ses aiguilles, et un farceur lui en a redonné quatre, tracées au feutre noir. Le temps des arrivées se confond à celui des départs. Le voyageur entrouvre sa valise. Il plie son manteau. Du fond de sa valise, il sort le beau costume à boutons d’or du contrôleur. Il se coiffe du képi sur lequel les lettres de « Pacifica » sont brodées en fil d’or. Referme la valise. L’abandonne au parquet. Il sourit, porte son sifflet argenté à ses lèvres. Tuuuut! Celui qui n’attend personne sort accueillir un autre train.

Laissé seul, le poisson de la fontaine, qui voulait remonter chez lui, a tant bégayé que la fontaine a débordé. Une nappe liquide a fini par recouvrir le parquet. La lumière qui se déversait par les verrières s’est souvenue des vagues, et la marée est montée remplir la salle des pas perdus. La valise, emportée par les courants des grands fonds, s’est échouée sur le parquet d’une autre gare. À l’intérieur, un autre contrôleur a trouvé un poisson encore vivant dans une flaque salée. Personne ne l’a réclamé. Il s’est sauvé par le fond du bidet. Car ce poisson ne sait qu’une chose : qu’il n’y a pas d’issue à la mer en lui, autour de lui. Il ouvre, referme la bouche. Il ne pourra jamais parler. Mais il répète quand même ton nom muet. Pa. Paci. Pacifica. Ton nom houlant, roucoulant, glissant le long de la langue. Je reviens vers toi. Et je te tais.


Palais : Où êtes-vous ?

danielcanty - #pacifica5 À Pacifica.

dearpm - #pacifica5 ici, comme toujours